Coordinateur du projet : Dr Jérôme Jeanblanc
Partenaire du projet : Dr Sébastien Carnicella, Grenoble Institut Neurosciences GIN - Équipe "Physiopathologie de la Motivation"
Interview Jérôme Jeanblanc, MAAD
Une substance psychédélique pour réduire la consommation d'alcool ?
RESUME
Les troubles de l’usage de l’alcool touchent une proportion significative de la population générale et ont des conséquences dramatiques tant au niveau individuel que collectif. Ces troubles se caractérisent par une perte de contrôle de la consommation, une prise compulsive et des épisodes répétés de rechute. D’une part, le contexte associé aux épisodes de consommation joue un rôle central à la fois dans la prise du produit et dans la rechute. D’autre part, ces phénomènes sont contrôlés par un ensemble de structures cérébrales bien connues (le cortex préfrontal (CPF), le noyau accumbens (NAcc) et l’aire tegmentale ventrale (ATV)) et interconnectées par des systèmes de neurotransmission dopaminergiques (DA), glutamatergiques, GABAergiques et sérotoninergiques.
Parmi les nouvelles pistes thérapeutiques, l’utilisation des psychédéliques suscite un intérêt croissant, avec des essais précliniques et cliniques en cours dans le monde entier, utilisant diverses substances telles que le LSD ou la psilocybine. Le récepteur 5HT2A, cible principale des psychédéliques, module la voie dopaminergique méso-cortico-limbique et participe à la formation de la mémoire contextuelle. Il est donc pertinent d’étudier les mécanismes d’action de la psilocybine sur les phénomènes liés à l’abus d’alcool ainsi que sur les rechutes induites par le contexte.
Nous avons montré, entre autres, une diminution de la consommation d’alcool induite par la psilocybine lorsqu’elle est administrée avant un épisode de consommation dans un contexte spécifique associé à l’alcool, mais pas dans l’environnement résidentiel habituel. De plus, nous avons observé une augmentation de l’expression du gène codant pour le récepteur dopaminergique D2, connu comme modulateur de la consommation d’alcool et également impliqué dans la formation d’un hétérodimère avec le récepteur 5HT2A. Cette régulation n’a été observée que chez les rats buveurs chroniques et dans les structures PFC et NAcc.
Nos résultats préliminaires nous ont conduits à proposer l’hypothèse selon laquelle l’activation des récepteurs 5HT2A par la psilocybine au sein du circuit de la récompense permettrait d’effacer la mémoire contextuelle associée à la consommation de drogue et, ainsi, de réduire et/ou prévenir les rechutes.
Dans ce projet, nous proposons une série d’expériences comportementales, neurochimiques et génétiques visant à moduler l’activation et/ou les niveaux d’expression des récepteurs 5HT2A dans le PFC, le NAcc et l’ATV selon différents paradigmes d’administration d’alcool impliquant des modifications contextuelles, chez deux espèces complémentaires : le rat et la souris. Nous avons déjà démontré des effets différentiels des substances et des médicaments selon le sexe ; ainsi, pour renforcer notre approche translationnelle, nous étudierons l’ensemble de ces aspects neurobiologiques, neurochimiques et comportementaux chez les mâles et les femelles.
Le projet sera structuré en quatre tâches convergentes mais indépendantes. Les deux premières tâches viseront à caractériser finement les effets comportementaux et neurobiologiques de la psilocybine et de l’exposition chronique à l’alcool sur les systèmes dopaminergique et sérotoninergique (transmission phasique – voltammétrie cyclique rapide et imagerie de la dopamine – et tonique – microdialyse –, expression des récepteurs, autoradiographie, IRM fonctionnelle). Les deux autres tâches mettront en œuvre une approche interventionnelle pour expliquer les mécanismes cellulaires et moléculaires responsables de l’effet de la psilocybine sur la consommation d’alcool et les rechutes que nous avons déjà démontré. Nous étudierons d’abord le substrat neurobiologique de l’effet de la psilocybine via une approche de knock-down de l’expression du récepteur 5HT2A dans les différentes structures d’intérêt. Ensuite, nous analyserons le rôle de l’hétérodimérisation entre le récepteur 5HT2A et le récepteur dopaminergique D2 dans l’effet de la psilocybine.
Ce projet, qui combine une large variété d’approches, apportera des informations cruciales à la compréhension des mécanismes d’action des psychédéliques dans les troubles de l’usage de l’alcool. Nos résultats fourniront la preuve de concept nécessaire à de futurs essais cliniques sur l’usage des psychédéliques comme traitement des troubles de l’usage de l’alcool.
ABSTRACT
Alcohol use disorders affect a significant proportion of the general population and have dramatic consequences at both the individual and collective levels. These disorders are characterized by a loss of control over consumption, compulsive intake and repeated episodes of relapse. On the one hand, the context associated with the episodes of drug use plays a central role both in the taking of the drug and in the relapse. On the other hand, these phenomena are controlled by a set of well-known brain structures (prefrontal cortex (PFC), nucleus accumbens (NAcc) and ventral tegmental area (VTA)) and connected to each other by dopaminergic (DAergic), glutamatergic, GABAergic and serotonergic neurotransmission systems. Among the new therapeutic avenues, the use of psychedelics is of great interest with preclinical and clinical trials underway worldwide with various substances such as LSD or psilocybin. The 5HT2A receptor, the main target of psychedelics, modulates the mesocortico-limbic DAergic pathway and participates in the formation of contextual memory. It is therefore relevant to study the mechanisms of action of psilocybin on alcohol abuse phenomena as well as on context-related relapse. We have shown, among other things, a decrease in alcohol consumption by psilocybin when it is administered before an episode of consumption in a specific context associated with alcohol but not in the usual residential environment. In addition, we showed an increase in the expression of the gene encoding the dopamine D2 receptor, which is a well-known modulator of alcohol consumption, and which is also known to form a heterodimer with the 5HT2A receptor. This regulation was only observed in chronically drinking rats and in both PFC and NAcc. Our preliminary results led us to propose the hypothesis that psilocybin activation of 5HT2A receptors in the reward circuit would erase the contextual memory associated with drug use and thus reduce and/or prevent relapse. In this project, we propose a series of behavioral, neurochemical and genetic experiments aimed at modulating the activation and/or expression levels of 5HT2A receptors in the PFC, NAcc and ATV in different alcohol administration paradigms involving contextual modifications in 2 complementary species, the rat and the mouse. We have already shown differential effects of drugs and medications depending on sex, so to enhance our translational approach, we will study all these neurobiological, neurochemical and behavioral aspects in both males and females.
The project will be divided into 4 convergent but independent tasks. In the first 2 tasks we will finely characterize the behavioral and neurobiological effects of both psilocybin and chronic alcohol exposure on the dopaminergic and serotonergic systems (phasic - fast cyclic voltammetry and dopamine imaging - and tonic - microdialysis - dopaminergic transmissions, receptor expression, autoradiography, fMRI). In the other 2 tasks, we will use an interventional approach to explain the cellular and molecular mechanisms responsible for the effect of psilocybin on alcohol consumption and relapse that we have already demonstrated. First, we will specifically study the neurobiological substrate of the psilocybin effect by a knock-down approach of the 5HT2A receptor expression in the different structures of interest. In a second step, we will study the role of heterodimerization of the 5HT2A receptor and the D2 dopamine receptor in the effect of psilocybin.
This project, which brings together a wide variety of approaches, will provide crucial information in understanding the mechanisms of action of psychedelics in alcohol use disorders. Our results will provide the proof of concept for future clinical trials on the use of psychedelics as a treatment for alcohol use disorders.