La dysbiose du microbiote intestinal dans l’Hépatite Alcoolique Aigue Sévère: une approche translationnelle (Acronyme : HepatAlc-IM)
Le consortium Eric Nguyen-Khac Ingrid Marcq Mathias Chamaillard
L’Hépatite Alcoolique Aigüe sévère (HAA) est l’une des formes les plus graves d’atteinte hépatique liée à la consommation chronique et excessive d’alcool. La mortalité attribuable à l’HAA est de 40 à 45% à 6 mois. La corticothérapie, seul traitement recommandé, améliore la survie à court terme. Cependant elle peut impliquer des complications infectieuses. En effet, 25,6% des patients atteints d’HAA présentent une infection, les rendant inéligibles au traitement et se trouvent sans alternative thérapeutique. L’identification précoce des non-répondeurs aux corticoïdes est un enjeu thérapeutique pour éviter un traitement inutile et risquer une infection. De plus, dans le cas de résistance à la corticothérapie (30% des cas) la mortalité s’élève à de 75%, et la transplantation hépatique de recours n’est accessible que pour certains patients sélectionnés. Les questions non résolues sont nombreuses, concernant l’épidémiologie, le poids économique réel, la compréhension d’une physiopathologie complexe, et la recherche de nouvelles cibles thérapeutiques. Récemment, le rôle du microbiote intestinal (MI) a été mis en lumière. Chez l’homme la dysbiose liée à l’alcool pourrait être à l’origine de l’altération de la barrière intestinale par une diminution de synthèse du mucus protecteur, et de certaines protéines participant aux jonctions serrées ou encore une diminution des défensines ce qui favorise la croissance bactérienne, et in fine la translocation bactérienne. Le MI d’un patient ayant une HAA est différent de celui d’un patient sans HAA. De surcroit, le transfert du MI d’un patient avec une HAA sur un modèle de souris germ-free peut induire une inflammation hépatique. La transmission d’inflammation est réversible par une nouvelle transplantation d’un MI provenant d’un humain n’ayant pas développé de HAA, suggérant un concept de traitement de l’HAA par la Transplantation de Matière Fécale (TMF).
D’où les objectifs du consortium HepatAlc-IM: 2 équipes INSERM et le CHU d’Amiens (services d’Hépato-Gastro-Entérologie et de Santé Publique): 1) Identifier une signature microbiotique intestinale diagnostique et/ou pronostique. La mise en évidence d’une signature microbiotique particulière permettra de diagnostiquer dès leur arrivée les patients HAA évitant la biopsie hépatique, et d’identifier les patients susceptibles de ne pas répondre aux corticoïdes. La collecte des échantillons de selles s’effectuera aux J0 et J7 pour les patients du groupe HAA, l’analyse sera réalisée prospectivement avec une conservation à -80°C à la Biobanque de Picardie. L’extraction de l’ADN microbiotique des selles des patients HAA et des groupes contrôles sera réalisée pour l’étude de plusieurs phyla, familles, espèces bactériens d’intérêt à l‘aide de la technique de PCR quantitative 16S et du système NGS Illumina Miseq. Cette signature pourra être utilisée comme test diagnostic/pronostic de réponse aux corticoïdes chez les patients HAA. 2) Réduire la mortalité de l’HAA en testant le concept corticostéroïdes plus TMF en gélules dans un essai clinique randomisé de phase I et évaluer l’impact de la TMF sur les patients alcoolo-dépendants. Les bénéfices seront de réduire la mortalité et d’évaluer les effets de la TMF sur l’addiction des patients (consommation, craving, qualité de vie). Cela permettra non seulement d’envisager de nouvelles perspectives thérapeutiques en testant le concept corticostéroïdes plus TMF dans un nouvel essai clinique randomisé de phase I chez les patients HAA non répondeurs ou non éligibles aux corticostéroïdes mais également ouvrira de nouvelles perspectives d’études sur l’impact de la dysbyose et son rétablissement sur les consommations d’autres substances addictives (tabac, cannabis) via un questionnaire CAST et Fagerstrom. 3) Suivre le MI chez les patients de l’essai clinique à J0-J7-J30-J56 pour évaluer l’impact de la TMF et/ou corticostéroïdes sur le MI des patients. 4) Développer un modèle préclinique d’HAA chez des souris conventionnelles et germ free afin d’identifier les mécanismes immunomodulateurs de la TMF et comprendre les mécanismes physiopathologiques de réponse ou de résistance à la corticothérapie. Le rôle d’une TMF seule comme traitement d’une HAA ne peut être investiguée en clinique pour des raisons éthiques. En parallèle, un suivi de la consommation des souris sera évalué. Ce modèle préclinique pourra être le modèle de référence pour évaluer l’efficacité de nouveaux traitements pour soigner l’HAA. 5) Evaluer le coût de la prise en charge des patients HAA à l'hôpital en France de 2008 à 2017 et de déterminer coût-efficacité de la TMF chez les patients atteints d’HAA. L'analyse de Big Data français et des données européennes permettra pour définir le coût total de l’HAA sur le système de santé et son impact sur la mortalité hépatique. Ces données permettront de mieux orienter la politique de santé et les ressources allouées.
Publication dans Gut Microbes
Lien vers l'article L’hépatite alcoolique aiguë (HAA)est une des formes les plus sévères de la maladie du foie liée à l’alcool et se caractérise par un très mauvais pronostic avec un taux de mortalité de 20% à 1 mois. Avec l’abstinence, le traitement d’un mois par les corticostéroïdes et 5 jours de N-Acétylcystéine par voie intraveineuse est le seul traitement de référence (Nguyen-Khac E et al N Engl J Med 2011. Le Microbiote Intestinal (MI) jouerait un rôle majeur dans l’addiction à l’alcool et la maladie du foie liée à l’alcool, voire le développement de la HAA. Il est aussi impliqué dans le métabolisme des acides biliaires. Les patients atteints de HAA présentent des modifications de leur MI (dysbiose) qui auraient un lien causal avec les atteintes hépatiques. Les patients présentent aussi une augmentation de la perméabilité intestinale favorisant le passage des micro-organismes dans le sang. Cibler les modifications du MI dans le traitement de la HAA représente une perspective thérapeutique intéressante. Et une question essentielle reste encore posée, à savoir si le traitement médicamenteux de la HAA entraine aussi des changements du MI pouvant contribuer à l’efficacité thérapeutique. Inversement, le MI pourrait aussi très bien interagir directement avec le traitement par les corticostéroïdes. Le but de cette étude pilote était d’examiner l’évolution de la composition du MI chez les patients atteints de HAA suivant un traitement par prednisolone. Nous avons émis l’hypothèse que le MI des patients atteints de HAA est affecté par la thérapie et qu’une amélioration des lésions hépatiques pourrait être accompagnée par des modifications du MI. Nous nous attendions également à ce que des facteurs supplémentaires, tels que l’exposition aux antibiotiques, le sevrage alcoolique, le régime alimentaire hospitalier et l’environnement, déclenchent des changements dans la composition du MI. Des échantillons de selles des patients atteints de HAA ont été obtenus avant le début du traitement par prednisolone (D0) et après une semaine de traitement (D7) afin d’étudier l’évolution de la composition du MI par séquençage métagénomique. Dans le but de comprendre les éventuels changements fonctionnels du MI, nous avons quantifié les acides gras à chaîne courte (AGCC) et les acides biliaires (AB) par spectrométrie de masse. Il s’agissait aussi de déterminer si les biomarqueurs mesurés pourraient expliquer la réponse ou non-réponse au traitement. Nos résultats démontrent que la composition du MI patients atteints de HAA traités avec la prednisolone reste inchangée après 7 jours de traitement par prednisolone. Les profils des acides gras à chaîne courte ne sont pas affectés par le traitement, tandis que les profils des acides biliaires quant à eux changent dans le sérum mais pas dans les échantillons de selles. Enfin, les répondeurs et les non-répondeurs montrent une évolution différente de la concentration sérique de la protéine de liaison du lipopolysaccharide au fil du temps, ainsi que des profils d’acides biliaires distincts. Au total, en utilisant le séquençage métagénomique shotgun, nous avons montré que le traitement de 7 jours par prednisolone a peu ou pas d’effet sur le microbiote intestinal. Ces résultats renforcent la pertinence de la transplantation de MI comme traitement pour remodeler durablement le MI et, en fin de compte, réduire l’inflammation du foie par la modulation de l’axe intestin-foie. Nous avons également trouvé des résultats prometteurs suggérant que deux acides biliaires pourraient être des biomarqueurs potentiels pour distinguer les patients « répondeurs » au traitement de ceux « non-répondeurs ». Des études supplémentaires avec un suivi plus long et incluant un plus grand nombre de patients sont nécessaires pour confirmer ces résultats.
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Université de Picardie Jules Verne – Chemin du Thil, 80000 Amiens